Qu’est-ce que le Maroc a à voir avec le scandale de corruption du Parlement européen

Lorsqu’en 2019 le Parlement européen a donné son aval à ratification de deux accords commerciaux importants (et controversés) avec le Maroc, beaucoup à Strasbourg ont tourné le nez. Ceux qui ont suivi ces dossiers de près parlent d’une campagne massive de lobbying des autorités de Rabat. Ce n’était pas nouveau : tous les gouvernements (UE et hors UE) jouent (légalement) leurs cartes avec les députés quand des mesures d’intérêt national sont en jeu. Mais aujourd’hui, une ombre de suspicion plane sur ces votes, conduisant au scandale de corruption rebaptisé Qatargate. Et cela, peut-être, ne concerne pas que l’Emirat.

Les rapports de Panzeri

En effet, selon ce qui est apparu ces dernières heures, l’ancien eurodéputé d’Article One, Pier Antonio Panzeri, fait également l’objet d’une enquête pour ses relations avec le Maroc. En effet, la demande d’extradition de l’épouse et de la fille de Panzeri vers la Belgique mentionne également le « transport de cadeaux ». « L’homme derrière ces cadeaux ? Abderrahim Atmoun, ambassadeur du Maroc en Pologne », écrit Politico se référant à la demande d’extradition des autorités belges. Le document mentionne également un « géant » qui a remis sa carte de crédit à la famille Panzeri, mais il n’est pas clair si Atmoun et le « géant » sont la même personne.

La rumeurs cependant, les médias ont relancé les soupçons qui circulaient depuis des jours (mais même avant) parmi les eurodéputés, les assistants et les fonctionnaires du Parlement européen sur ce qui s’est passé dans les premiers mois de 2019, alors que Panzeri était encore un membre éminent de l’Eurochambre ( il était président de la sous-commission des droits de l’homme) et Strasbourg a approuvé les deux accords commerciaux controversés avec le Maroc. Le fait qu’elles soient controversées ne dépend pas tant des rumeurs de pressions sur les eurodéputés prétendument exercées par les autorités de Rabat (pressions qui, répétons-le, s’il y en a eu, restent légitimes si elles n’impliquent pas la corruption ou des menaces, de dont il y a une trace jusqu’à présent): le fait est que ces accords ont été rejetés deux ans plus tard par la Cour de justice de l’UE, au motif qu’ils constituaient une violation du droit international.

Accords commerciaux et Sahara occidental

Les deux accords commerciaux concernent en fait laexporter à des tarifs préférentiels pour les produits agricoles dans l’UE et lo exploitation par les entreprises européennes des ressources halieutiques du Sahara Occidental. Ce territoire, riche en matières premières comme le phosphate, est au centre d’une querelle internationale depuis des décennies : longtemps colonie espagnole, le Sahara occidental était alors occupé par le Maroc. La population sahraouie locale s’est toujours opposée au pouvoir de Rabat et s’est organisée autour du Front Polisario, une organisation politique qui revendique l’autonomie du Sahara Occidental et qui est soutenue par l’Algérie. Pour l’ONU, le Sahara occidental fait partie de la liste des territoires non autonomes : en substance, l’ONU reconnaît le droit de la population sahraouie à l’autonomie, à condition que cela soit convenu avec le Maroc. Cependant, le processus de paix est au point mort.

Précisément à cause de cette reconnaissance internationale, déjà en 2016 la Cour de justice de l’UE avait rejeté les accords commerciaux entre l’UE et le Maroc concernant le Sahara Occidental : pour les juges européens, tout accord de ce type doit être conclu avec l’implication et le consentement de le Front Polisario. Malgré la décision de 2016, cependant, la Commission européenne a proposé à nouveau ces accords avec peu de changements substantiels, et surtout sans une implication adéquate du Front Polisario. Des textes terminés au Parlement européen, et tous deux approuvés en plénière entre janvier et février 2019 à une large majorité : pour Strasbourg, il y avait suffisamment de garanties en faveur des droits de la population sahraouie. Il est dommage que le Front Polisario n’ait pas été du même avis et ait saisi la Cour de justice de l’UE, qui en 2021 a donné raison aux appelants et à nouveau annulé les accords.

Net de tout, on peut donc dire que selon le droit européen et international, les accords sur l’agriculture et la pêche entre Bruxelles et Rabat sont illégaux. Un élément qui n’a cependant été reconnu ni par la Commission, ni par les États membres, ni par le Parlement européen. Quant à Strasbourg, les doutes sur le vote en plénière ont été semés par plusieurs députés et fonctionnaires qui suivaient les dossiers à l’époque. Parmi ceux-ci figure Ana Gomes, ancienne eurodéputée des Socialistes et Démocrates, le groupe auquel appartenait Panzeri : « Le Maroc a peut-être financé Antonio Panzeri & associés pour édulcorer les résolutions sur le Sahara Occidental et les droits de l’homme au Maroc. Je ne compte plus les querelles que nous avions sur ces questions », il ha écrit sur Twitter. Gomes n’ajoute pas de détails, mais comme nous l’avons dit, plusieurs sources au Parlement font état de la pression venant des lobbies pro-Maroc proches des votes. Autre élément : le président de la commission parlementaire mixte UE-Maroc (qui fait partie de la délégation parlementaire du Parlement européen au Maghreb) était jusqu’à présent le député Andrea Cozzolino : l’homme politique du Parti démocrate n’est pas lié à l’enquête, mais son assistant Francesco Giorgi est considéré comme l’homme clé de l’enquête du Qatargate.

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