Notice nécrologique de Pierre Soulages | Art

Le peintre abstrait français Pierre Soulages, décédé à l’âge de 102 ans, a fait du noir une obsession, le transformant de l’absence de lumière en une couleur à part entière. Sur le sol de son atelier de la rive gauche à Paris, il réalisait de grandes toiles brillantes inondées de noir – ou ce qu’il décrivait comme outrenoir ou « au-delà du noir ». Avec des pinceaux, des couteaux à palette et des ustensiles domestiques spécialement préparés, Soulages crée des textures complexes, combinant des zones lisses et rugueuses et creusant des lignes profondes dans la peinture épaisse et stratifiée.

Pour Soulages, les valeurs tactiles de ses peintures, ainsi que de ses reliefs abstraits en bronze, n’étaient pas aussi importantes que la manière dont les surfaces absorbaient ou réfléchissaient la lumière. Ces effets étaient extrêmement attrayants pour les collectionneurs et le grand public. Bien que Soulages ait affirmé être étonné par cette popularité, il n’est peut-être pas difficile de l’expliquer. Le noir ne se démode jamais – et aucun artiste de l’histoire n’a mieux compris l’importance du choix de la bonne finition, mate ou brillante.

Soulages a toujours été une figure élégante, habillée de vêtements aussi sombres que sa peinture, mais pour lui noir n’était pas seulement un accessoire. Il a raconté qu’à l’âge de six ans, on l’a trouvé en train de tracer des lignes épaisses avec un pinceau et de l’encre noire. Quand on lui a demandé ce qu’il faisait, il a répondu : « De la neige. »

Cette fascination pour le noir et son potentiel lumineux l’a conduit, plus tard dans sa vie, à créer des juxtapositions remarquables. Au début du XXIe siècle, il a utilisé le collage pour réaliser une série de compositions composées de bandes horizontales noires et blanches. La brillance optique était frappante, même lorsque les explosions de peinture noire semblaient submerger les pans de blanc.

Visiteurs d'une exposition de l'œuvre de Pierre Soulages au Centre Pompidou à Paris, 2009.
Visiteurs d’une exposition de l’œuvre de Pierre Soulages au Centre Pompidou à Paris, 2009. Photographie : Remy de la Mauvinière/AP

La dualité normale de la lumière et de l’obscurité a été subvertie en 2012-13 lorsqu’il a exposé deux œuvres, l’une noire et l’autre blanche, d’abord au Musée des Beaux-Arts de Lyon, puis à la Villa Médicis à Rome. La surface noire d’une toile était éclairée par des lignes blanches, tandis que les crêtes de peinture du tableau voisin projetaient des ombres délicates sur la blancheur.

Soulages a également introduit à l’occasion des couleurs primaires, bien que l’effet ne soit pas exactement édifiant. Au début de sa carrière, des rouges furieux sont apparus dans la gravure n° 2 (1952), par ailleurs noire, qui est une œuvre de l’artiste. à la Tate et les bleus sombres se fondent dans la noirceur de certaines de ses œuvres tardives. Comme toujours, leurs titres, tels que Painting 81 x 130 cm, 26 avril 2002 (au Musée Liaunig, Neuhaus), laissent libre cours à l’interprétation du spectateur.

Les moments de couleur sont frappants mais brefs. Les toiles totalement noires ont été le point fort de la carrière de Soulages. Comme il l’a dit en 2005 : « Avant la lumière, le monde et les choses étaient dans l’obscurité la plus complète. Avec la lumière, les couleurs sont nées. Le noir leur est antérieur. Antérieur aussi pour chacun de nous, avant la naissance, « avant d’avoir vu le jour ». Ces notions d’origine sont enfouies au plus profond de nous. »

Soulages est né à Rodez, dans l’Aveyron, dans le sud de la France. Bien qu’il ait été associé plus tard à la région côtière de Montpellier et de Sète en Languedoc-Roussillon, où il avait un atelier d’été, il a été profondément marqué par sa jeunesse dans l’Aveyron. Enfant, il a été particulièrement impressionné par les menhirs de la région, qu’il a vus au Musée Fenaille, et par les églises romanes, dont l’influence se fera sentir plus tard dans ses peintures austères en relief.

Peinture 324x362 (1985) exposée au musée du Louvre à Paris en 2019, dans le cadre d'une rétrospective à l'occasion du 100e anniversaire de Pierre Soulages.
Peinture 324×362 (1985) exposée au musée du Louvre à Paris en 2019, dans le cadre d’une rétrospective à l’occasion du 100e anniversaire de Pierre Soulages. Photographie : François Guillot/AFP/Getty Images

Comme sa sœur Antoinette, Pierre a surmonté des difficultés précoces, notamment la mort de son père, Amans, à l’âge de cinq ans, alors qu’il venait d’ouvrir un magasin de chasse et de pêche au rez-de-chaussée de la maison familiale. Antoinette, qui a 15 ans de plus que son frère, devient professeur de philosophie et, bien que sa mère, Aglaé, souhaite qu’il soit médecin, Pierre s’oriente résolument vers une carrière artistique.

En 1938, Soulages se rend à Paris, où il entre dans l’atelier de René Jaudon. Après avoir vu des expositions de Cézanne et de Picasso, il décide d’abandonner sa place à l’École des Beaux-Arts et de rentrer chez lui. Mobilisé en 1940, il travaille comme agriculteur près de Montpellier et fréquente l’école des Beaux-Arts de la ville, où il rencontre Colette Llaurens, qu’il épouse en 1942.

Soulages reprend rapidement sa carrière à la fin de la guerre et, de retour à Paris en 1946, se lance dans l’avant-garde de l’abstraction expressive. En 1947, il participe à une exposition à Paris, au Salon des Surindépendants. C’est une période de reprise de la coopération internationale, et Soulages expose dès 1948 à Stuttgart et deux ans plus tard à la galerie Gimpel Fils à Londres.

Dès le début, il entretient des contacts importants avec des artistes britanniques, notamment Patrick Heron – une relation qui a fait l’objet d’une exposition en 2016 à la galerie Gimpel Fils de Londres. Galerie Waddington Custot à Londres.

Ce sont toutefois les États-Unis qui exercent la plus forte influence. À ce stade, Soulages crée des traits noirs audacieux sur des fonds clairs, invitant la comparaison avec Franz Kline, bien que son style soit en réalité plus délicat et calligraphique. Dès sa première exposition à la galerie Betty Parsons à New York en 1949, Soulages fait l’unanimité auprès des collectionneurs américains et des grands musées. Cette période dorée a duré tout au long des années 50 et 60, jusqu’à ce que son marchand américain, Samuel M. Kootz, ferme sa galerie en 1966. Avec la montée du pop art et d’autres tendances, l’abstraction tombe en désuétude.

En dehors des États-Unis, le succès de Soulages ne se dément pas dans les années 60 et 70. Ses projets vont d’une pièce en vitrail de 1965-66 pour le musée Suermondt-Ludwig d’Aix-la-Chapelle, qui a été décrite comme une « icône de la nuit », à une exposition à Dakar (1974) louée pour ses rythmes africains. L’abstraction de Soulages se prête à de multiples interprétations.

En 1979, Soulages conçoit sa première outrenoir des peintures, présentées dans une exposition au Centre Pompidou, où de nombreuses œuvres étaient suspendues à des fils au centre de la pièce. Ce site coup de théâtre a été suivi par des commandes publiques, notamment en 1986 le 104 vitraux pour l’abbaye romane de Sainte-Foy à Conques.à 40 kilomètres de sa ville natale. Complétant délicatement les teintes de la pierre environnante, ils répondent à l’objectif de Soulages de créer une lumière diffuse : « Une lumière vivante, pourrait-on dire, contenue dans le verre lui-même ».

Le projet était si passionnant qu’en 1992-94, Soulages a cessé de peindre pendant qu’il achevait les fenêtres. À la fin de la décennie, cependant, il est revenu aux toiles noires monumentales qui allaient dominer le reste de sa carrière. En 2009-10, il a eu une deuxième rétrospective au Centre Pompidouqui a été la plus grande exposition du musée consacrée à un artiste vivant, attirant un demi-million de visiteurs. La rétrospective Soulages au Louvre a marqué son 100e anniversaire.

Les nouvelles collections permanentes de l’œuvre de Soulages sont peut-être encore plus significatives. Une section consacrée à son art a été ajoutée au Musée des Beaux-Arts. Musée Fabre à Montpellier pour sa réouverture en 2007, et en 2012, il avait fait don de près de 500 tableaux au Musée Fabre. Musée Soulages dans sa ville natale bien-aimée, Rodez.

Il laisse dans le deuil Colette.

Pierre Soulages, artiste, né le 24 décembre 1919 et mort le 25 octobre 2022.

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