Je n’ai pas ces testicules en pierre » : le conservateur révèle les secrets et les mythes du célèbre cimetière de Paris | Paris

Benoît Gallot, conservateur du cimetière parisien du Père-Lachaise, souhaite mettre fin à un mythe urbain particulier : non, il n’utilise pas les testicules du sphinx de la tombe d’Oscar Wilde comme presse-papiers.

Les parties génitales en pierre, qui auraient été retirées de la créature mythique par deux Anglaises puritaines choquées par leur taille et leur proéminence, auraient été sauvées et utilisées dans un bureau par les employés successifs du cimetière. D’après Gallot, cette histoire n’est que des balivernes.

« De nombreux articles sur le Père-Lachaise expliquent que les attributs du sphinx ont été récupérés par l’un des ouvriers du cimetière et ont été utilisés comme presse-papiers par les conservateurs successifs. Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai bien sûr cherché par bureau l’objet de cette castration, j’ai fouillé toutes les armoires… je n’ai rien trouvé ; aucune trace de cette ‘relique’. »

Benoît Gallot
Benoît Gallot : « Je veux casser l’idée que le Père Lachaise n’est que pour les stars ou les riches ; c’est aussi pour Monsieur et Madame Tout-le-monde. » Photographie : Philippe Quaisse/Pasco ©Philippe Quaisse

Cette anecdote est l’une des nombreuses que Gallot raconte dans son envoûtante livre La Vie Secrète d’un Cimetière (The Secret Life of a Cimetière) dans lequel il mêle anecdotes personnelles et un récit de la coexistence des vivants et des morts dans ce qui est devenu l’une des attractions touristiques les plus populaires de la capitale française.

Gallot, 41 ans, vit avec sa femme et ses quatre enfants dans l’équivalent républicain d’une maison de grâce à l’intérieur du cimetière depuis qu’il a été nommé conservateur en 2018. C’est un poste auquel il se sent presque prédestiné, ayant grandi avec des parents qui dirigent toujours l’entreprise de taille de pierre commémorative fondée à l’origine par son arrière-grand-père.

Son quotidien ne consiste pas seulement à gérer la routine, mais aussi à trouver un équilibre entre les demandes souvent contradictoires des mourants, des morts et des personnes en deuil, d’une part, et de ceux qui empruntent un chemin pas toujours respectueux vers la dernière demeure de l’un de ses résidents les plus célèbres, d’autre part : Chopin, Balzac, Wilde, Modigliani, Edith Piaf, Jim Morrison…

Avec plus de trois millions de visiteurs par an qui se mêlent à ceux qui assistent aux funérailles ou qui rendent hommage à leurs proches, cela peut donner lieu à des larmes et à des crises de colère.

« C’est un équilibre délicat, mais il est important de rappeler aux gens que le Père-Lachaise est avant tout un cimetière et non un parc d’attractions », dit-il. « Notre priorité est avant tout les habitants de Paris, mais nous essayons de faire en sorte que ce soit aussi une bonne expérience pour les touristes. »

Cet été, le personnel du cimetière a distribué des plans gratuits aux visiteurs pour les aider à s’orienter dans la nécropole labyrinthique. Mme Gallot indique qu’une application pour téléphone portable est en cours de développement à l’heure où nous parlons.

Le Père-Lachaise a été inauguré en 1804 sur un terrain acquis auprès du confesseur spirituel de Louis XIV, qui lui a donné son nom. Il ne devint populaire auprès des Parisiens en tant que lieu de sépulture qu’après que Napoléon y eut fait transporter le corps de Louise de Lorraine, l’épouse d’Henri III, ainsi que ceux des amants tragiques Héloïse et Abélard. L’inhumation des restes que l’on croyait à l’époque – et que l’on conteste depuis – être ceux du dramaturge Molière et du poète Jean de la Fontaine a renforcé la réputation du cimetière.

La culture populaire, ainsi que les détritus de la boisson et de la drogue, ont fait leur apparition lorsque Jim Morrison, le fondateur des Doors, a été enterré au Père Lachaise en 1971, dans une tombe aujourd’hui fermée aux fans zélés.

Des visiteurs se recueillent sur la tombe du chanteur et compositeur américain Jim Morrison.
Des visiteurs se rendent sur la tombe de l’auteur-compositeur-interprète américain Jim Morrison. Photo : Yoan Valat/EPA

Les grands mausolées construits avant 1900 sont classés et ne peuvent donc pas être touchés. La majorité des parcelles ont été vendues à perpétuité, ce qui signifie que les places sont rares. Une centaine de parcelles dont la concession a expiré et qui n’ont pas été renouvelées par les familles deviennent libres chaque année. Cependant, M. Gallot insiste sur le fait que les places ne peuvent être réservées et qu’être enterré au Père-Lachaise est aujourd’hui plus une question de chance que d’argent.

« Je veux briser l’idée que le Père Lachaise n’est réservé qu’aux stars ou aux riches ; il est aussi pour Monsieur et Madame Tout-le-monde », dit Gallot.

« Nous avons plusieurs appels par jour et c’est vrai qu’il y a plus de demandes que de places mais c’est entièrement une question de chance de savoir si une parcelle vient de se libérer quand quelqu’un appelle. »

Son travail exige souvent des mouchoirs en papier et une épaule sur laquelle les personnes en deuil peuvent pleurer ; mais ce que le conservateur du cimetière déplore par-dessus tout, c’est ce qu’il considère comme un manque d’imagination dans les choix des gens quant à la façon dont ils veulent qu’on se souvienne d’eux. Cela a créé des cimetières remplis de pierres tombales grises, dit-il.

« Même ceux qui ont les moyens de payer pour quelque chose de différent veulent des tombes sombres de nos jours. Il y a très peu d’originalité. Tout est devenu standardisé. Nous voyons les mêmes dalles de marbre gris avec juste un nom gravé ou une épitaphe banale, ce qui est une honte qui frise la crise parce que les cimetières sont devenus des endroits tristes que personne ne veut visiter. »

Une statue en marbre blanc orne la tombe du compositeur et pianiste polonais Frédéric Chopin (1810-1849).
Une statue de marbre blanc orne la tombe du compositeur et pianiste polonais Frédéric Chopin (1810-1849). Photographie : Bruno De Hogues/Getty Images

Dans son livre, il ajoute : « La vanité a été reléguée au placard et la sobriété est désormais à la mode ». On pourrait interpréter cette humilité post-mortem comme le signe d’une démocratisation bienvenue, l’établissement d’une certaine égalité entre les morts : peu importe ce que nous étions, peu importe ce que nous avons fait, nous finirons tous dans des tombes plus ou moins similaires. En tant que conservateur d’un cimetière connu pour ses monuments exceptionnels, je trouve cette « timidité funéraire » plutôt regrettable.

« Le Père-Lachaise ne serait pas ce lieu remarquable si la mégalomanie n’avait pas un jour poussé les plus fortunés à se faire construire des tombes à l’image de leur orgueil boursouflé. »

Gallot dit qu’il a été approché par plusieurs éditeurs pour écrire son livre après le succès de ses compte Instagram présentant des photographies de la flore et de la faune qui ont élu domicile parmi les 70 000 tombes et mausolées et dans les marronniers d’Inde qui bordent les allées du cimetière de 43 hectares (106 acres). Depuis que l’utilisation de pesticides a été interdite dans le cimetière, il y a dix ans, la faune s’est développée, avec des renards, des chats sauvages et des belettes, ainsi que des perruches, des hiboux, des pics et des corbeaux.

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Revenons à Oscar Wilde, dont la tombe – un énorme sphinx ailé taillé dans un bloc de pierre de 20 tonnes du Derbyshire par un sculpteur moderniste Jacob Epstein – est l’un des préférés de Gallot.

La pierre tombale d'Oscar Wilde par le sculpteur moderniste Jacob Epstein.
La pierre tombale d’Oscar Wilde par le sculpteur moderniste Jacob Epstein. Photographie : Marc Bruxelle/Alamy

Lors de son inauguration en août 1914, une plaque de bronze a été stratégiquement placée pour couvrir les testicules dont la taille était considérée comme inhabituelle, voire immodeste, à la fureur d’Epstein qui a refusé d’assister à la cérémonie.

L’histoire des parties intimes du sphinx, enlevées lors d’un acte de vandalisme en 1961, refuse cependant de mourir. Gallot insiste sur le fait qu’il n’a aucune idée de l’endroit où elles pourraient se trouver.

« Aujourd’hui, la question est régulièrement posée par des journalistes ou des personnes intéressées par le Père-Lachaise, et à chaque fois je réponds que non, je n’ai pas ces précieux testicules de pierre sur mon bureau. »

La Vie Sécrète d’un Cimetière de Benoît Gallot est publié aux éditions Les Arènes.

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