Pourquoi l’Europe ne peut pas utiliser les milliards saisis aux Russes

La Russie paiera, en effet pas. L’annonce faite hier par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, aura redonné espoir au gouvernement de Kiev, qui demande depuis des mois d’allouer à l’Ukraine les avoirs gelés des oligarques russes et de la Banque centrale de Moscou. « La Russie doit payer pour ses crimes horribles », a tonné von der Leyen, avant de garantir qu' »avec nos partenaires, nous ferons payer à la Russie les ravages qu’elle a causés avec les fonds gelés des oligarques et les avoirs de sa Banque centrale » .

L’inverse

Cependant, quelques heures après l’annonce de von der Leyen, la Commission a publié un avis sur l’utilisation des avoirs gelés pour soutenir la reconstruction de l’Ukraine. Le document a clarifié tous les obstacles juridiques à la confiscation et à la réutilisation des avoirs russes. « Le gel des avoirs dans le cadre des mesures restrictives de l’UE ne peut être considéré comme un premier pas vers la confiscation », précise clairement le document rédigé par les responsables européens. Pour que le bien saisi soit donné à une utilité sociale, en l’occurrence à la reconstruction du pays envahi, il faut une condamnation par un juge. Mais pour quel délit ?

Un crime ponctuel

Un oligarque russe, pourtant étroitement lié à Vladimir Poutine, ne peut en effet subir la confiscation de ses avoirs sans avoir commis le moindre crime. D’où l’idée de l’UE d’en créer un nouveau. Le 28 novembre, le Conseil a adopté la décision identifiant la violation des sanctions de l’UE comme un nouveau crime de l’UE. « Cela ouvre la voie à la proposition par la Commission d’une directive sur la définition des infractions et des peines en cas de violation des mesures restrictives de l’UE » et « cette proposition sera liée à la directive sur le recouvrement et la confiscation des avoirs, de sorte que cette dernière s’applique aux avoirs dérivés ou utilisés pour des violations de mesures restrictives », lit-on dans l’Opinion.

En d’autres termes, lorsqu’il peut être prouvé qu’un oligarque a violé les sanctions de l’UE, ses avoirs seront confiscables en vertu de la nouvelle infraction. Cependant, même cette voie juridique devra se heurter à un autre principe juridique, à savoir la non-rétroactivité en droit pénal. Comme l’a expliqué un responsable de l’UE, la possibilité de confisquer les avoirs des Russes saisis dans l’UE ne commencera à rapporter de l’argent dans les coffres de Kiev qu’une fois que toute violation future des sanctions de Bruxelles sera établie.

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A qui va l’argent confisqué ?

Un autre aspect qui complique le transfert des avoirs gelés vers un fonds de reconstruction pour l’Ukraine est que tout avoir confisqué resterait toujours en la possession des États membres, et non de l’Union européenne. « Tout produit des avoirs confisqués par les États membres, ou de leur vente, pourrait être acheminé vers l’UE – soit vers un « fonds commun » autonome, soit vers l’instrument de l’UE envisagé pour la reconstruction de l’Ukraine (par exemple, la facilité Rebuild Ukraine) – par moyen d’un transfert volontaire ou obligatoire », a proposé la Commission. Mais pour que cela se produise, le consentement des gouvernements nationaux est nécessaire.

Le mystère de l’argent russe gelé dans l’UE

En bref, l’utilisation des avoirs russes gelés dans l’UE pour reconstruire l’Ukraine est très difficile à réaliser en raison des obstacles posés par l’architecture juridique européenne. Et pour être honnête, Bruxelles n’a même pas été en mesure de chiffrer les ressources qui seraient allouées à Kiev si l’UE réussissait l’entreprise de confiscation. « Au 25 novembre 2022, le montant total des avoirs privés gelés dans l’UE » en application des sanctions contre la Russie « s’élevait à près de 18,9 milliards d’euros », lit-on dans l’introduction du document, qui précise ensuite les larges marges d’appréciation de les États membres dans la communication des avoirs saisis à l’UE et qui propose diverses mesures pour renforcer la traçabilité et l’identification de ces avoirs.

« En ce qui concerne les biens publics russes, le montant total exact ‘bloqué’ dans l’UE en raison des interdictions commerciales n’est pas connu actuellement », a encore admis la Commission. « Les réserves internationales de la Banque centrale russe sont ‘fixes’, dans la mesure où elles se situent dans les pays du G7 et dans l’UE, pour un montant total estimé à 300 milliards de dollars », a ajouté Bruxelles. Et pour utiliser cet argent, l’UE devrait non seulement trouver un accord avec ses 27 États membres mais aussi avec les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et le Canada.

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