Les polémiques sexistes sur le glaneur Sapri ont-elles un sens ?


Symbole du Risorgimento, hymne à la révolution et hommage à l’esprit patriotique italien : le « Glaneur de Sapri », selon les mots du poète Luigi Mercantini, incarne presque autant les idéaux qui ont conduit à l’établissement de l’Italie que l’hymne. C’est elle, selon les mots de Mercantini, qui assiste impuissante à la défaite des 300 hommes de l’expédition de Carlo Pisacane, arrivés à Sapri en 1857 pour déclencher une révolution anti-Bourbon dans le Royaume des Deux-Siciles. C’est toujours elle, très pauvre et obligée de survivre pour glaner le blé (c’est-à-dire ramasser les épis de blé échappés des gerbes dans les champs labourés), d’abandonner son travail et de suivre les héros du Risorgimento et de rejoindre la lutte , quoique de loin, de ces « trois cents , jeunes et forts » massacrés par les troupes bourboniennes. Et c’est toujours elle qui représente, avec son travail très humble et sa fougue patriotique, l’Italie d’alors.

Il n’est donc pas étonnant que Sapri ait voulu lui rendre hommage avec une statue, la seconde (une autre date de 1994 et n’est visible que de la mer) installée en front de mer. Ce qui surprend en revanche, ce sont les traits de la statue, et la manière dont la glaneuse était représentée : les courbes de son corps soulignées par une robe semi-transparente, le bas du dos notamment, les épaules dénudées et la tête tournée vers la mer ​lancer ce qui, pour de nombreux détracteurs, a semblé un regard coquet. La statue, qui tient sous le bras quelques épis de blé, a été réalisée par l’artiste du Cilento Emanuele Stifano, présent à l’inauguration à laquelle assistait également l’ancien premier ministre Giuseppe Conte. Même pas le temps de conclure la cérémonie, pourtant, que la contestation commençait à monter : la procacité de la glaneuse et le choix de mettre en valeur ses formes avec la robe semi-transparente n’ont pas plu à beaucoup, qui ont accusé la statue de « sexiste, masculine ». chauvin, embarrassant, offensant » selon qui a commenté sur les réseaux sociaux.

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Des protestations véhémentes sont également venues du monde politique, avec la sénatrice Monica Cirinnà qui a demandé le retrait, définissant la statue « une gifle à l’histoire et aux femmes qui ne sont encore que des corps sexualisés, rien ne dit l’autodétermination de celle qui a choisi de ne pas aller au travail pour prendre parti contre l’oppresseur Bourbon ». Laura Boldrini lui fait écho en se demandant « comment même les institutions peuvent-elles accepter la représentation de la femme comme un corps sexualisé ? Le machisme est un des maux de l’Italie ». Ironie aussi, avec plusieurs femmes qui ont partagé sur Twitter la photo qui montre le glaneur de dos, devant les institutions (dont Conte) en admiration, souhaitant « rejoindre le gymnase où va le glaneur de Sapri ».

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Le maire Antonio Felice (Italia Viva) a défendu l’œuvre : « Elle a été réalisée avec un savoir-faire et une interprétation impeccable ». Le sculpteur s’est à son tour défendu, se disant « abasourdi et déconcerté » par la réaction suscitée, et a précisé que « quand je fais une sculpture j’ai toujours tendance à couvrir le moins possible le corps humain, quel que soit le sexe. Dans le cas du Gleaner, puisqu’il était positionné en front de mer, j’ai ‘profité’ de la brise marine qui le frappait pour donner du mouvement à la jupe longue, mettant ainsi en valeur le corps ». A ceux qui s’opposaient à la décision de mettre en valeur les formes, Stifani répondait qu’elle servait « à souligner une anatomie qui n’aurait pas dû être un instantané fidèle d’une paysanne du XIXe siècle, mais plutôt représenter un idéal de la femme, évoquer sa fierté, la éveil d’une conscience, le tout dans un moment de grand pathétique ».

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Incontestablement beau, le nouveau glaneur de Sapri, tant dans la forme que dans la construction, et il n’y aurait rien de mal à cela. Beaucoup l’ont apprécié, jetant de l’eau sur le feu de la polémique. Reste pourtant la question de l’opportunité, s’il fallait vraiment « souligner une anatomie d’un idéal de femme » en arrondissant le derrière de la jeune femme brisée par le dur labeur des champs, qui assiste au massacre des trois cents personnes de Pisacane en mission pour l’unité de l’Italie. Il est vrai cependant que jusqu’à samedi, tout le monde, surtout parmi les nouvelles générations, n’avait pas entendu parler du glaneur de Sapri et de la poésie de Mercatini, qui est même devenue un sujet tendance sur Twitter. Et si l’une des fonctions de l’art public est de susciter des réflexions et de pousser à l’approfondissement, on ne peut pas dire que la Municipalité de Sapri et Stifano n’aient pas réussi dans leur dessein.

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